Citroën SM vs. Oldsmobile Toronado les deux plus puissantes tractions avant de leur époque

2018 James Mann and DRive-My EN/UK

AVANTGARDISTES ! Avec la SM et la Toronado, Citroën et Oldsmobile ont osé la traction avant sur de puissants coupés, à une époque où les solutions conventionnelles l’emportaient largement. Texte Martin Buckley. Photos James Mann.


CITROEN VS OLDSMOBILE

Avant-gardiste 46 Une confrontation France-USA, V6 italien de la SM contre le V8 bodybuildé de la Toronado.

SM & TORONADO les deux plus puissantes tractions avant de leur époque. Ces deux coupés étaient, à l’époque, les tractions avant les plus puissantes.


SM & TORONADO

SM & TORONADO

Leading from the front Citroën Vs Oldsmobile

Citroën SM vs. Oldsmobile Toronado

La simple idée d’une Citroën à suspension hydropneumatique et moteur Maserati pourrait être considérée comme une sorte de conspiration gauchiste par le monde des collectionneurs de voitures américaines. Dans un univers de “burn-out” et de chapeaux de cowboys, c’est sans doute la voiture qui, plus que toute autre, symbolise quelque chose d’un peu extraterrestre : trop compliquée, trop française, trop intelligente. De même, mentionner à un propriétaire de SM qu’une Oldsmobile puisse être comparée à l’une des meilleures voitures européennes des années 1970, sans qu’il connaisse les subtilités de la Toronado, risque de lui faire avaler tout rond son croissant.

“Affichant une ligne spectaculaire et une technique avancée, elles étaient les tractions avant les plus rapides de leur époque”

Pourtant, au risque de provoquer des grognements dans les deux camps, il me semble logique de réunir ces deux voitures. Étant propriétaire d’une Toronado (celle de ces pages) et longtemps utilisateur d’une SM, j’ai un pied de chaque côté. Pour moi, elles présentent depuis toujours l’attrait de voitures ayant résolument choisi un futur élégant, performant et confortable. Affichant une ligne spectaculaire et une technique très avancée, elles étaient les tractions avant les plus rapides et les plus puissantes de leur époque. Destinées à promouvoir leur marque, elles sont aujourd’hui plus proches que vous pensez en terme de conception et de comportement.

La Toronado est arrivée la première. Dévoilé à la fin de 1965 (année-modèle 1966), ce grand coupé était le modèle le plus intéressant lancé par General Motors depuis la Chevrolet Corvair. Après 10 ans de gestation (et attendue depuis longtemps par la presse automobile américaine), elle a fait sensation car c’était la première américaine à traction avant depuis la Cord. Ses phares escamotables constituaient un clin d’oeil à cette classique, alors que les ailes musclées et les portes les plus longues du marché auraient suffi à attirer le chaland, même avec une transmission conventionnelle.

Conçue pour s’attaquer au marché très rentable des coupés de luxe (avec les Thunderbird et Riviera), la Toronado était présentée comme une nouvelle race de grande routière américaine, non seulement silencieuse et performante, mais qui en plus tenait bien la route ; elle affichait la voie la plus large et les ressorts les plus fermes de toutes les voitures du marché national.

“Une fois accoutumé aux commandes de la voiture, vous commencerez à penser que Citroën a réussi là où tous les autres ont échoué”

Malheureusement, toutes ces ambitions “Gran Turismo” avaient discrètement disparu quand la SM a été lancée en 1970. Alors que la nouvelle Citroën-Maserati recueillait l’attention bienveillante de la presse internationale, la Toronado avait perdu son allure originale dans les modifications annuelles qui lui avaient fait perdre sa spécificité par rapport à ses soeurs à toit en vinyle.

Pour ne rien arranger, la Cadillac Eldorado à traction avant de 1967 avait volé la vedette à la Toronado et sa technologie avancée. L’ancien fer de lance d’Oldsmobile a pris la voie d’un banal coupé de luxe, malgré des moteurs de plus en plus gros et des freins à disque pour remédier à leur faiblesse initiale, seule critique sérieuse reçue par le modèle de 1966. Même le spectacle de Bobby Unser à Pikes Peak n’avait pas suffi à convaincre les acheteurs que des tambours ailetés étaient suffisants pour arrêter une machine de 2 tonnes lancée à 200 km/h.

Cela n’a pas empêché la vente de 40 000 Toronado la première année et les honneurs des manchettes des deux côtés de l’Atlantique, mais pas toujours pour de bonnes raisons. Dans son essai de mars 1966, Motor notait que, bien qu’étant la 6-places la plus rapide qu’ils aient jamais essayée, c’était aussi la plus gourmande, à 30 l/100 km.

Des freins corrects étaient un curieux oubli sur une voiture qui était par ailleurs techniquement remarquable. Malgré l’affirmation d’Issigonis selon laquelle la traction avant était “irréaliste” sur toute voiture de plus de 2 litres, les ingénieurs d’Oldsmobile ont réussi à limiter au maximum les réactions parasites sur la direction assistée, légère mais relativement directe. En jouant sur les centres de roulis et les angles de chasse, et en passant commande de pneus Firestone TFD spéciaux, ils ont produit un coupé 7 litres (avec 60% du poids sur les roues avant) qui présentait la meilleure tenue de route de toutes les voitures américaines de grand gabarit.

Le V8 “Rocket” 7 litres transmettait le mouvement à un convertisseur de couple placé derrière le moteur puis, via une chaîne Morse de 5 cm de large, à une boîte Hydramatic trois rapports conventionnelle mais placée sous le moteur, légèrement à gauche, d’où le plancher parfaitement dégagé de la Toronado. Des arbres de transmission dotés de joints homocinétiques rejoignaient les roues avant. Des ressorts de torsion dégageaient de la place pour toute cette mécanique et les jantes étaient spécifiques, ajourées pour refroidir les tambours de freins. La mécanique était portée par une sorte de long berceau qui se prolongeait jusqu’aux fixations de ressorts arrière.

Hormis le plancher plat, les possibilités d’aménagement permises par la traction avant étaient complètement ignorées au profit du style de David North qui privilégiait un avant imposant et un arrière court, le gros porte-à-faux avant n’ayant aucune raison d’être. Avec une longueur de 5,36 m et une largeur de 2 m, la Toronado était une grosse voiture car c’est ce que les Américains attendaient pour les 6 000 $ qu’elle coûtait.

Non pas d’ailleurs que Citroën ait réussi à faire de la SM un exemple d’organisation rationnelle. Longue de 4,87 m et large de 1,83 m, c’était un coupé plutôt grand pour les standards européens. Pourtant, le fait que le coffre ait été encombré par la roue de secours et que les places arrière se soient apparentées à la formule 2+2 ne semblait pas importer beaucoup. C’était une nouvelle Citroën, la plus puissante et la plus excitante depuis la DS.

Comme la Toronado, la SM était attendue depuis longtemps (en particulier depuis le rachat de Maserati en 1968) et, même pour un constructeur connu pour son audace technique, elle a réussi à surprendre. De même que la Toronado, la SM ne présentait pas une beauté conventionnelle. Ce qui importait, c’est qu’elle ait l’allure d’une Citroën, depuis ses six projecteurs sous verrière jusqu’à son arrière effilé, 20 cm plus étroit que l’avant.

Comme la DS, la SM comportait des phares tournant avec les roues avant. Mais contrairement à la DS, la plupart de ses panneaux de carrosserie étaient structurels, et ils constituaient une forme très aérodynamique : c’est ce qui permettait à cette voiture de 1,5 tonne de dépasser 220 km/h avec un simple moteur 2,7 litres. Il était certes d’origine Maserati : un V6 quatre arbres extrapolé du V8 du constructeur et développant 170 ch avec une alimentation par trois carburateurs Weber. Il était installé contre la cloison pare-feu, avec sa boîte cinq-rapports à l’avant et 60% du poids sur les roues avant. Une des particularités était la présence d’un arbre de distribution intermédiaire qui entraînait les organes annexes dont la pompe hydraulique pour la suspension à assiette constante et les assistances, comme celle des freins à disque ou de la nouvelle direction. A rappel asservi, celle-ci était à assistance variable en fonction de la vitesse et de l’angle de braquage, en plus d’être très directe (deux tours d’une butée à l’autre).

Aujourd’hui encore, conduire une SM est une expérience à savourer. A l’intérieur, l’habitacle élégant répond aux promesses de l’extérieur, avec son tableau de bord aux formes douces, ses instruments ovales et son volant monobranche. Sur cet exemplaire, l’éclairage de pédalier a été réalisé par le restaurateur Thornley Kelham à la demande du propriétaire Ellwood Von Seibold, qui voulait accentuer l’aspect futuriste de la voiture.

Avec de rares jantes composites, c’est un exemplaire de belle allure. Les sièges cuir en forme de hamac sont aussi confortables qu’ils en ont l’air et vous pouvez trouver la position de conduite parfaite pour les longs voyages sans fatigue pour lesquels la SM était tellement à l’aise.

Mettez en route et, pendant que les pompes et accumulateurs cliquettent et bruitent (et que la suspension prend sa position normale), vous remarquez un battement syncopé qui trahit l’angle de 90° entre les bancs de cylindres, peu orthodoxe pour un V6. C’est d’ailleurs plus une sensation qu’un son, le bruit du moteur étant suffisamment profond, rauque et sophistiqué. L’accélération est gratifiante, sinon spectaculaire, avec une boîte de vitesses très précise, dont les rapports bien étagés vous permettront d’atteindre 145 km/h en troisième et 185 km/h en quatrième. Le V6 se fait plus doux quand le régime augmente et vous fait oublier le timbre décalé, votre attention étant complètement sollicitée par les mains et les pieds qui doivent s’habituer à la direction extrêmement sensible et à l’extrême réactivité des freins. Les deux réclament des impulsions légères et vous imposent de faire confiance à la stabilité absolue de la SM.

Apprenez à caresser le volant avec des mouvements économes, goûtez la réactivité de la voiture et sa capacité imperturbable à passer vite en virage, et vous commencerez à penser que Citroën a réussi là où tous les autres ont échoué. Cela se fait au prix d’un léger roulis, mais le confort ne souffre d’aucun compromis et la suspension avale les inégalités avec une autorité tranquille.

La Toronado est presque aussi stable en ligne droite et, comme la SM, elle présente un angle mort de 3/4 arrière à cause du gros montant qui se prolonge jusqu’au coffre. Même s’il n’est pas aussi élégant que celui de la SM et ne présente pas la même recherche de présentation, l’habitacle est correct et surtout beaucoup plus spacieux, avec un espace généreux pour les pieds et des portes qui sont tellement longues que les passagers arrière ont droit à leur propre poignée.

Accoudoir central baissé, la banquette “Strato Bench” maintient remarquablement bien en virage. Elle est réglable électriquement par une commande sur l’accoudoir du conducteur. Une fois les quatre vitres électriques baissées, la Toronado dégage une agréable sensation d’espace, mais ne réclame pas une attention débordante. Juste sélectionner “Drive” sur la boîte automatique, appuyer sur l’accélérateur (ultralarge) et laisser le couple onctueux provoquer une accélération qui l’est tout autant. Laissez-vous aller et observez les chiffres apparaître sur le compteur à tambour qui rappelle une machine à sous. Bien que la poussée ne soit pas celle d’une muscle-car, elle propulse la Toronado au-delà de 150 km/h en quelques instants, avec en option la possibilité de faire crisser les roues avant si l’envie vous en prend.

En vitesse de pointe, l’américaine se fera distancer par la française, mais c’est elle qui prendra le dessus au démarrage au feu rouge, accompagnée simplement d’un lointain grondement, du glouglou du carburateur Rochester Quadrajet quatre corps, avec une agréable absence de bruits de roulement et de vent.

Autant de caractéristiques qui impressionnent et qui correspondent à ce que vous pouvez attendre d’une américaine de luxe des années 1960. Ce que vous n’attendiez pas est la stabilité en courbe : l’impression rassurante d’être tiré vers la sortie du virage, pendant que vous guidez cette voiture massive avec une direction légère qui offre peu de sensations. En fait, la Toronado se comporte de façon tellement rassurante et vire avec une telle bonne volonté que vous finissez par penser que cette “sensation” n’est pas vraiment nécessaire.

De plus, la suspension ferme n’a rien de flou ni de mou, même si elle n’approche pas la subtile sophistication de la SM. Et sa largeur ne décourage pas une conduite un tantinet sportive. Ce serait plutôt les freins qui le feraient mais, honnêtement, je ne les ai pas trouvés aussi mauvais que leur réputation. Ils chauffent mais arrêtent la voiture en ligne droite ; certes pas avec la puissance du système antiplongé et assisté de la Citroën. Bien que ces deux voitures soient comparables, comme deux coupés venant d’un autre monde, est-ce qu’un automobiliste est jamais parti acheter l’un en revenant avec l’autre ? J’en doute.

L’Oldsmobile est une voiture fascinante, un morceau de musculation technologique lancé par un pays qui était sur le point d’envoyer deux hommes sur la lune. J’ai l’impression que le projet de Toronado a été réalisé par les ingénieurs de GM simplement parce qu’ils pouvaient le faire, ne serait-ce que pour démontrer que c’était possible. Cette formule permettait de donner plus d’agilité à des voitures de grand gabarit, et répondait à de nombreux problèmes inhérents aux grosses américaines traditionnelles. Rapide, confortable et chère à fabriquer, la Toronado offrait des qualités dynamiques dont les acheteurs ne se rendaient sans doute même pas compte.

La SM est née sous d’autres auspices, sur un continent où il était encore possible de rouler vite en toute légalité. Elle faisait la fierté de l’industrie automobile française et c’était probablement, au début des années 1970, la voiture la plus avant-gardiste du monde, créée par un constructeur dont on attendait qu’il présente les solutions les plus avancées, apparemment sans qu’un comptable y mette un frein. Que d’autres voitures moins compliquées aient affiché des performances similaires n’était pas important : Citroën prouvait qu’on pouvait le faire en se creusant les méninges, et c’est ce qui comptait. Autrement dit, la SM était une sorte de folie fabuleuse, une voiture de génie que rien ne peut remplacer. Même pas une Toronado.


CITROËN SM

Période/Production 1970-1975 / 12 920 ex

Construction Carrosserie autoporteuse acier avec capot aluminium

Moteur V6 alliage, 2 670/2 965 cm3, 2 ACT par banc, 3 carburateurs Weber, ou injection électronique Bosch D-Jetronic

Puissance maxi 170-180 ch à 5 500 tr/mn

Couple maxi 23,7-25 mkg à 4 000 tr/mn

Transmission Manuelle 5 rapports, traction avant

Suspension ind, bras tirés, système hydropneumatique interconnecté, assiette constante

Direction à crémaillère, rappel asservi, assistance variable

Freins disques, assistance

Lxlxh 4 897 x 1 835 x 1 333 mm

Empattement 2 959 mm

Poids 1 496 kg

0-100 km/h 9 s

Vitesse maxi 228 km/h

Prix neuve 46 000 francs (1970)

Cote actuelle 40 000 € +


OLDSMOBILE TORONADO

Période/Production 1965-1966 / 40 963 ex

Construction Châssis acier périmétrique, carrosserie acier

Moteur V8 fonte, 6 967 cm3, soupapes en tête culbutées, carburateur Rochester quatre corps

Puissance maxi 386 ch à 4 800 tr/mn

Couple maxi 65,6 mkg à 3 200 tr/mn

Transmission Automatique 3 rapports, traction avant

Suspension av ind, triangles, barres de torsion, barre antiroulis ; ar essieu rigide, ressorts semi-elliptiques à une lame

Direction à billes, assistance

Freins tambours

Lxlxh 5 359 x 1 994 x 1 346 mm

Empattement 3 022 mm

Poids 2 155 kg

0-100 km/h 8,7 s

Vitesse maxi 200 km/h

Prix neuve 45 000 francs env.

Cote actuelle 10 000 – 28 000 €


Sens horaire : la Toronado est très longue : banquette avant électrique, facile à régler pour une position de conduite idéale ; le V8 de 7 litres développe 386 ch ; phares escamotables ; la SM est plus étroite à l’arrière, pas la Toronado. Sens horaire : la suspension complexe offre un confort incroyable, au prix d’un léger roulis ; superbes sièges ; V6 quatre arbres Maserati ; la SM est la plus aérodynamique ; les projecteurs intérieurs sont tournants.


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