2019 Ford GT V6 Biturbo

En plein préparatifs des 24 Heures du Mans, le collector Ford GT entreprend un pèlerinage sur les traces de son homologue de course–ycompris en piste – et de ses glorieuses aînées, qui établissaient leur camp de base à l’ Hôtel de France . Séquence émotion, sortez les mouchoirs et cramponnez-vous !
GRAND FORMAT Ford GT – Par Julien Diez Photos Greg


 ‘Objet Roulant Non Identifié’’. La GT produit cet efet dans la rue. Pas extravagante. Juste sidérante par ses proportions, son aéro, son évolution au ras des pâquerettes.


 2019 Ford GT 01


La Ford GT se fait désirer. Elle sort rarement. Elle s’expose peu dans la presse. Elle reste très pudique en matière de chronos, et la maison mère est insensible au fait de claquer un temps au Mans, en hommage aux quatre triomphes des années 60 et à la victoire de catégorie de la GTE Pro en 2016. Mais non, pas de chiffre ! Avis aux heureux propriétaires, notre porte leur est grande ouverte s’ils veulent jauger le potentiel de leur auto.

On peut toujours rêver puisque cette ultime requête s’adresse, pour le moment, à trente-six personnes en Europe… dont deux Français ! Rappelons que cette supersportive au look et à l’exclusivité de supercar (prix et production) est construite au compte-gouttes au Canada par Multimatic : 1 000 exemplaires étalés sur quatre ans. Ford a eu une dérogation en 2016 pour courir au Mans, alors que la production du modèle de série n’a débuté qu’en décembre. L’histoire se répète d’ailleurs cette année avec BMW pour la M8. Le règlement FIA WEC exige en effet que les GTE soient dérivées de la série.


 2019 Ford GT 02

Le cockpit à coque apparente a le mérite d’être singulier et de choyer la position de conduite. La boîte, les aides, la suspension pilotée ou le lift avant se manient depuis le tunnel.


 TECHNIQUE

Moteur : V6 biturbo, bi-injection

Cylindrée : 3 497 cm3

Puissance : 656 ch à 6 620 tr/mn

Couple : 76 mkg à 5 900 tr/mn

Transmission : roues AR, 7 rapports robotisés

Autobloquant/antipatinage : en série/en série déconnectable

L – l – h : 4 779 – 2 003 – 1 109 mm

Voies AV/AR : 1 694/1 662 mm

Empattement : 2 710 mm

Pneus AV/AR : 245/35 ZR20 & 325/30 ZR20

Carburant : 57 l Poids : 1 480 kg

Prix de base/modèle essayé : 500 000 €/550 000 € (1 000 ex.)

PERFORMANCES ANNONCÉES

V. max. : 347 km/h 0 à 100 km/h : env. 3’’0


 2019 Ford GT 03

 

En clin d’œil aux années 60, la GT pose devant l’ Hôtel de France situé dans le sud de la Sarthe, où Ford établissait son QG pendant les 24 Heures. Gigantesque,  cet aileron actif qui se déploie à  haute vitesse ou selon les modes ! Au freinage,  il se braque à la verticale


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La belle et la bête ! Outre la couleur, ces deux monstres ont un point commun : le 3,5 litres biturbo, ramené à 456 ch dans le F-150 Raptor, non importé en Europe.


 

Retrouvailles

Les GT reposent donc sur la même coque carbone, taillée en goutte d’eau dans le but d’obtenir une aéro vertigineuse : volets amovibles avant, gigantesques ouvertures sur le capot, aéro bridges, portes sculptées, fond plat, diffuseur géant, aileron hyperactif (quatre vérins)… « Je retrouve l’ambiance, le cockpit de la GTE Pro », lance Sébastien Bourdais, pilote usine et ex-supertester que nous sommes ravis de revoir, juste avant qu’il s’élance en qualiications avec la n° 68 du team américain Chip Ganassi.

Sur le monstre du WEC, l’arceau cage devient apparent et intégral, ce qui compense la découpe de la coque au niveau du toit pour faciliter l’extraction. « La version de route est plus sophistiquée niveau suspension, en raison du coût limité de développement en GTE », poursuit le pilote manceau, cumulant cette saison l’Indycar et l’IMSA. Souvenez-vous, en plus de petits amortisseurs inboard pilotés, la GT embarque des doubles ressorts dont la rigidité varie hydrauliquement (vérin et barre de torsion) et qui permet d’abaisser la garde au sol de 50 mm !

Ingénieux et spectaculaire quand on actionne le mode Track ou le lift avant. Sébastien évoque ensuite le moteur : « Je préfère le son de la GT de série. Celui de course est plus rauque… Puis il s’énerve : il y a près de 150 ch d’écart ! On ne peut pas faire rêver les gens avec un tel écart de puissance. » Le monde à l’envers, effectivement.

Il termine ce premier entretien en évoquant l’escalade de la puissance et la guerre des chronos à laquelle Ford ne veut pas se mêler. « Franchement, il y en a bien assez des 656 ch ! Sur le Bugatti, elle devrait se classer parmi les meilleures. » On va voir déjà comment elle se comporte dans le Dunlop plus tard. Pour le moment, l’heure est aux retrouvailles, en pleine campagne sarthoise.


 2019 Ford GT 05

 

Il ressort de cette expérience divine un plaisir aussi intense qu’à bord des meilleures supersportives et l’envie d’y accoler des chifres de performances pour confirmer ces sensations.


 

« Objet Roulant Non Identifié ». La GT produit cet effet dans la rue, en parvenant à se démarquer des sportives existantes. Pas extravagante. Juste sidérante par ses proportions, sa pureté, son évolution au ras des pâquerettes. Adam, technicien chez Multimatic, tend les clés en ouvrant la majestueuse porte en élytre. « On a un petit souci avec la climatisation, désolé. » Pas grave, nous ne sommes pas sous les tropiques ! Erreur, le cockpit devient vite un brasier que le V6 suralimente. Or tout le système de ventilation est en carafe.

Cher photographe, on va se tenir chaud, d’autant que la proximité est aussi poussée qu’à bord d’une Lotus ! Et le matériel ? Au choix, entre les jambes ou sur les genoux puisque le coffre arrière a du mal à contenir un sac à dos. Heureusement, on ne traverse pas la France ! La position de conduite est parfaite et l’on trouve facilement ses aises, bien que l’assise soit ixe. En contrepartie, le pédalier, le dossier et le volant sont ajustables. Mais, désolé Sylvain, ton 1,97 m n’est pas le bienvenu.

En plus, la charge autorisée ne doit pas dépasser les 150 kg, en incluant l’artiste gourmand… et le coffre de 11 l. Les premiers kilomètres s’effectuent calmement, pour s’habituer à la visibilité réduite, à la largeur et jauger la hauteur du museau. Au moindre doute, l’avant se lève et se rabaisse en une fraction de seconde. Eficace, mais brutal. L’objectif du jour est de suivre le tracé du grand prix de France de 1906, passant par Saint-Calais, La Ferté-Bernard et Connerré. Très vite, les lignes droites sans in de l’est manceau s’avèrent d’un ennui mortel.

A l’époque, les concurrents s’éclataient sur le circuit de 103 km (12 tours à couvrir) et visaient les 100 km/h de moyenne. Aujourd’hui, le but est de conserver son permis. L’envie ne manque pas de basculer en mode Vitesse maxi, abaissant l’assiette et plaçant l’aileron à l’horizontale, pour tenter de décrocher les 347 km/h annoncés. Patience, un passage par les Hunaudières devrait permettre de décrocher mach 3 le coude à la portière.


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Malgré le trafic et les problèmes moteur, l’instant est solennel : pouvoir arpenter le tracé des 24 Heures avec un collector dérivé de la course.


Bestiale

Dificile de ronger son frein avec une telle bombe sous le pied droit. Quelle bestialité dans les tours, ce V6 biturbo ! Les relances font froid dans le dos, mais ne sufisent pas à effrayer une 720S ou une 911 GT2 RS. Ce 3,5 litres à bi-injection et carter sec explose à 3 000 tr/mn et accroît ici son côté sauvage vers 5 000 tr/mn par rapport au modèle testé aux Etats-Unis (peu kilométré), en martyrisant le train arrière. Autre évolution : il se jette sur le rupteur avec plus d’entrain.

Il demeure moins pointu que le V8 McLaren, mais il cogne plus méchamment et a le mérite de faire frétiller les tympans… Inédite sur le marché, cette tonalité rauque grimpe de plusieurs octaves, contrairement à la GTE Pro. La force semble inépuisable. Chaque rapport donne un coup de fouet et le train arrière parvient à encaisser la douleur une fois les semi-slicks réchauffés (Michelin Pilot Sport Cup 2). Cela donne des ailes et l’envie d’abuser d’elle, même sur des routes taillées pour des GTI. Désolé, on a craqué et fui le tracé soporiique du GP…


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Le travail aéro est remarquable et se ressent à haute vitesse, dans le Dunlop ou aux freinages dans les Hunaudières.


 GRAND FORMAT Ford GT

La supersportive s’en sort étonnamment bien, y compris sur revêtement dificile. Elle virevolte sans inertie. Elle iltre les irrégularités sans maltraiter les occupants. Il existe même un réglage Confort, générant plus de débattement et adoucissant un brin les compressions. La rigidité d’ensemble est toujours aussi frappante. La sensation de faire corps avec cette sportive et la route est remarquable… Trop peut-être, puisque le guidonnage est prononcé, comme à bord d’une McLaren. La puissance des freins carbone/céramique et leur résistance mettent en totale coniance.

Après toutes ces émotions et une pause devant le château de Courtanvaux, nous décidons d’aller nous recueillir devant un lieu sacré pour Ford : l’Hôtel de France, à La Chartre-sur-le-Loir, qui a servi de camp de retranchement pendant les 24 Heures, dans les années 60. Dire que les pilotes effectuaient les 50 km les séparant du circuit par la route ! Autre époque… La ferveur locale envers les belles mécaniques est toujours aussi marquée. La pause traditionnelle devant l’établissement déclenche un attroupement.

En voyant la GT, les gamins restent bouche bée ou hurlent, voire courent après. Mention spéciale aux deux loulous qui ont longtemps sprinté pendant la traversée de Saint-Calais, sur le trajet retour, alors que nous recherchions désespérément du sans-plomb 98. Il faut dire que la GT n’est pas très « éco » mais plutôt « boost » (28 l/100 km) et qu’elle possède un réservoir de compacte (57 l).

Du coup, l’autonomie avoisine les 200 km… sur routes ouvertes. Alors, imaginez sur piste ! Heureusement, son homologue du championnat d’endurance, allégée à 1 255 kg, embarque 92 l de carburant. Il est temps d’aller à sa rencontre et de proiter de la folle ambiance des 24 Heures.

Rêve éveillé

La GT y est accueillie comme une reine. Même les possesseurs de Ferrari lèvent le pouce. Tous les passionnés s’inclinent et la mitraillent. L’excitation est à son comble lorsque les grilles du raccordement s’ouvrent. A nous le grand tracé, les Hunaudières, la Dunlop à fond ! Deux pilotes oficiels français rejoignent la joyeuse troupe Ford. Sébastien Bourdais saute dans une GT jaune et fonce devant le peloton. Olivier Pla, lui, se contente d’une Mustang puisqu’on lui pique la seconde GT…

Désolé ! Il sourit, détendu à quelques heures du départ d’une des courses les plus dures au monde : « Oui, Le Mans, c’est important. Mais l’objectif est avant tout de rester aux avant-postes du championnat. La moindre erreur peut coûter cher pour la saison. Ici, le plus dur est de rester concentré et de gérer le trafic, en gardant un œil dans le rétro. » Les commissaires font signe de se mettre en place. Il est temps d’enclencher le mode Track, sous leurs yeux médusés : abaissement instantané de l’assiette, extraction de l’aileron.

La GT joue les Transformers et s’engouffre dans le raccordement. Pincez-moi, le circuit est à nous ! Du calme, les pneus semi-slicks sont froids. Un survirage à la chicane le conirme. Très vite, des à-coups à pleine charge interpellent et le V6 a du mal à prendre ses tours. Damned ! Malgré le traic et ce pépin, la GT atteint 285 km/h dans les Hunaudières.

Devant, Sébastien, lui, grimpe jusqu’à 308 km/h, en subissant le même problème qui semble venir de l’injection ou du calibrage moteur. Ce qui veut dire qu’en temps normal, la GT de série humilie celle de course, avoisinant les 305 km/h à cet endroit. Vengeance !

Appontage

L’événement le plus troublant se produit juste après, lors des gros freinages. Les décélérations et la stabilité renforcées par l’aileron actif, érigé à la verticale, sidèrent. L’appontage avant les chicanes peut intervenir très, très tard. Sébastien le conirme : « Avec l’aileron actif, c’est diabolique ! Je freine aussi tard que dans la voiture de course. » Plus loin, la GT se jette dans le banking Indianapolis en conservant une vitesse déconcertante. Les G pleuvent dans tous les sens.

La bête pardonne même les petites erreurs, comme dans ces satanés S Porsche. Après le raccordement garni de grosses bananes destructrices de suspension, on retrouve une portion limée à longueur d’année. Youpi ! La GT arrive très fort à la courbe Dunlop et la franchit avec une aisance digne des meilleures : Huracán Performante, 720S. Puis elle balaie la chicane avec le même dédain que ses pires ennemies. Alors, Sébastien, elle passe à fond la Dunlop ? « Non, c’est le grip du pneu qui limite l’auto.

Mais il est déjà excellent, et le gros travail aéro porte ses fruits et la stabilise. » En faisant abstraction des soucis mécaniques, il ressort de cette expérience divine un plaisir aussi intense qu’à bord des meilleures supersportives et l’envie de pouvoir y accoler des chiffres pour conirmer ces sensations. Aucun doute, la GT a les moyens de se hisser dans le top 5 de notre classement au Mans. Elle est donc capable de se frotter aux meilleures sur piste. En dehors, la polyvalence n’est pas son fort : insonorisation, visibilité réduite, petit réservoir, quasi-absence de coffre.

Mais elle possède un bon iltrage de suspension. Il faut aussi souligner son côté fragile, digne d’une supercar, comme son exclusivité et son prix exorbitant. Qu’importe, tout est vendu ! Reste à savoir si Ford va lui réserver une retraite dorée, en la faisant évoluer en hybride intégrale dès 2020, ain qu’elle intègre la catégorie Supercars du futur règlement LMP1 WEC.


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L’AVIS DE JULIEN DIEZ

La Ford GT n’est pas que taillée pour les Hunaudières, où elle brille par sa stabilité, sa force de freinage. Elle s’aventure hors piste sans se casser le nez ni broyer les vertèbres. Il faut juste penser à ravitailler souvent ! Ce modèle d’essai bien rodé s’est avéré bestial et performant, mais aussi fragile. Bref, très attachant et marquant par son aura d’excellente supersportive.

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