La nouvelle Alpine A110 est la reine des cœurs : légère, agile et facile, elle nous a enthousiasmés. Du coup, nous avons eu envie de faire un tour avec sa lointaine devancière, afin de voir si, par hasard, les deux Berlinettes n’auraient pas quelques points communs…Par Vincent Desmonts Photos Laurent Villaron
L’A110 tourne, vire, reine avec une facilité déconcertante. Et malgré la météo capricieuse, elle n’a jamais cherhé à me prendre en traître !
Chaque mois, Sport Auto prend possession d’une voiture qui a marqué son histoire et celle de l’automobile. Au volant, un journaliste habitué aux sportives contemporaines.
Jean-Pascal est intarissable au sujet de sa Berlinette. « C’était ma première voiture ! Quand mes copains fantasmaient sur les Renault 5 GT Turbo et Peugeot 205 GTi, pour moi, c’était une Alpine ou rien ! » Nous sommes en 1988, et le marché des petites sportives est en plein boom : elles font alors partie de la panoplie indispensable de tout « yuppie » qui se respecte. Jean-Pascal, lui, n’a qu’une seule auto épinglée sur les murs de sa chambre : la berlinette Alpine. Il est encore étudiant, vit chez papa et maman, mais qu’importe.
A ce moment-là, la cote des A110 commence à frémir : ni une, ni deux, Jean-Pascal casse sa tirelire, emprunte le complément à ses parents et fonce au centre Alpine de Paris. Il y trouve une 1 300 G de 1971 avec 71 000 km au compteur. Au début, le vendeur prend ce jeune homme de haut, mais finit par accepter de l’emmener faire un tour en passager. Une balade… mouvementée ! « Il a pris le rond-point de la porte de Saint-Cloud en pleine dérive, puis a enquillé la RN 118 à toute berzingue. Je pense qu’il voulait m’impressionner ! » C’est réussi, puisque Jean-Pascal signe aussitôt.
Il avait juste oublié un tout petit détail : impossible d’assurer une Alpine quand on n’a que 21 ans ! Dans un premier temps, la belle sera donc immatriculée au nom du papa, que l’on imagine ravi. De son côté, Jean-Pascal s’aperçoit qu’il a été un peu vite. « Je ne m’étais même pas renseigné auprès du club Alpine au préalable !
Ce n’est qu’après l’avoir achetée que je les ai contactés. De fait, la voiture était dans un état moyen : des pièces chromées manquaient, les carburateurs étaient mal réglés… » En 1995, Jean-Pascal se lance dans une restauration complète, tout seul comme un grand ! Dans son petit garage, il la démontera jusqu’au dernier boulon, allant jusqu’à extraire la poutre centrale du châssis. Il refera tout : faisceau électrique, moteur, boîte de vitesses.
Un travail de titan, réalisé sous le regard bienveillant de sa petite famille (« Ma femme adore cette voiture ! »), et qui lui prendra… neuf ans ! Entre-temps, il s’est fait embaucher chez Renault comme ingénieur, a grimpé les échelons en passant par Renault Sport avant d’être impliqué dans… le projet de la nouvelle Alpine A110. Une forme d’aboutissement pour ce fan de la première heure.
La planche de bord est du genre dépouillée, forcément. « Light is right », comme dirait l’autre ! L’instrumentation, en revanche, est très complète. Et le volant, étonnamment petit pour l’époque.
TECHNIQUE
Années de production : 1962-1977
Exemplaires produits : 7 176
Moteur : 4 cyl. en ligne
Cylindrée : 1 255 cm3
Puissance maxi : 88 ch à 6 750 tr/mn
Couple maxi : 11,9 mkg à 5 000 tr/mn
Transmission : aux roues arrière, 5 rapports manuels
Poids annoncé : 760 kg
Rapport poids/puissance : 8,6 kg/ch
L – l – h : 3 850 – 1 520 – 1 130 mm
Empattement : 2 100 mm
Pneumatiques AV/AR : 165 HR 13
Prix à l’époque : 20 690 F, soit 26 100 € (A110 1500)
Cote actuelle : 65 000 €
PERFORMANCES MESURÉES (Version 1 500 cm3)
400 m D.A. : 18’’ 1 000 m D.A. : 33’’0 V. max. : 181 km/h
Son style est à la fois simple dans ses formes générales et complexe dans les détails.
Toute petite et si légère…
C’est donc, on l’imagine, non sans appréhension qu’il me passe les clés de son bébé, auquel il est attaché comme à la prunelle de ses yeux. Il faut reconnaître que le travail de restauration est excellent. Cette A110 est sublime… et totalement conforme à l’origine, jusqu’aux belles jantes Gotti que Jean-Pascal est allé récupérer. La peinture, refaite par un ancien des ateliers Alpine, est profonde et parfaitement bien appliquée. Ce qui frappe dès que l’on s’approche de l’auto, c’est son incroyable compacité : la Berlinette ne mesure que 3,85 m de long, soit 21 cm de moins qu’une Clio et… 33 cm de moins que l’A110 actuelle !
Son style est à la fois simple dans ses formes générales et complexe dans ses détails, avec ces multiples touches de chrome, ces échancrures dans les flancs ou les feux longue portée fichés dans le nez de l’auto. L’Alpine réutilisait des éléments de grande série, comme les clignotants avant de Citroën Dyane ou les feux arrière de Renault 8 Gordini. Une drôle d’alchimie esthétique, mais qui fonctionne à merveille !
La carrosserie en fibre de verre posée sur un châssis-poutre en acier permettait de contenir le poids à 760 kg. Remarquable… et très pratique lors de la séance photo : pour satisfaire les moindres désirs de Laurent, l’homme derrière le Canon, il suffit de pousser à la main la frêle berlinette, qui ne manifeste aucune inertie ! Elle est aussi hyperbasse, avec un toit qui m’arrive à peine au-dessus de la ceinture. Comment vais-je donc parvenir à caser mon mètre quatre-vingt-cinq là-dedans ?
Jean-Pascal me rassure : il est un peu plus grand que moi, et a adapté l’auto à sa morphologie, en retirant les glissières des sièges afin d’être assis au plus bas. De fait, je m’attendais à pire. Je dois certes un peu me contorsionner pour glisser mes longues cannes sous le volant (heureusement qu’il est petit!), mais j’arrive à m’installer sans avoir à incliner la tête. En fait, la garde au toit est étonnamment bonne ! La position de conduite, moins : l’intrusif passage de roue repousse le pédalier vers le centre, et la jambe gauche est dans une position inconfortable lorsqu’elle n’actionne pas l’embrayage.
Pour le reste, on se croirait dans une monoplace, avec les bras tendus, le buste incliné vers l’arrière et une instrumentation complète (et totalement spécifique à l’Alpine). On remarque aussi que la nouvelle s’est inspirée de l’ancienne, notamment au niveau des contre-portes qui reprennent la teinte de la carrosserie. Dernier point : la visibilité est excellente dans toutes les directions.
1967 Alpine A110
Plaisirs simples
Au fil de sa longue carrière (elle fut commercialisée de 1962 à 1977), la Berlinette se déclina en de nombreuses variantes, allant des modestes A110 956 de 51 ch (!) jusqu’aux 1600 S, fortes de 140 ch. Celle de Jean-Pascal se situe à peu près entre les deux : il s’agit d’une 1 300 G de 88 ch. G pour Gordini, bien sûr ! Ce bloc en fonte issu des Renault 8 Gordini de l’époque porte d’ailleurs fièrement un « G » sur son couvre-culasse. Alimenté par deux carburateurs double corps Weber et associé à une boîte à cinq rapports, ce n’est pas un foudre de guerre mais il se sent évidemment à l’aise dans cette voiture légère.
Rond, il accepte de bon gré de reprendre à bas régime, tout en se montrant plutôt pétillant à hauts régimes. En outre, il émet une sonorité plaisante lorsque l’on titille la zone rouge. L’échappement transversal Devil – accessoire d’origine – n’y est évidemment pas étranger. Le levier de vitesses est un peu trop long pour être vraiment précis, mais la sélection se fait sans heurt ni effort excessif. Malgré le tout petit volant et l’absence d’assistance, la direction est très douce en manœuvres.
Mieux : le diamètre de braquage est étonnamment réduit. Voilà qui facilite les évolutions, ce qui tombe bien, car ce pédalier étroit et décalé n’est pas très adapté à mon 45 fillette ! Evidemment, la douceur du volant s’explique par l’étroitesse des pneus (165 de large seulement), mais surtout par la position du moteur : contrairement à l’A110 actuelle, où il est en position centrale (juste derrière les occupants), il est ici tout à l’arrière, derrière l’essieu postérieur.
Du coup, cela induit une légèreté du train avant à laquelle les voitures modernes (y compris les récentes Porsche 911) ne nous ont plus habitués. Il faut rentrer dans la courbe en restant un peu sur les freins afin de charger le nez pour une meilleure inscription. Mais ce que l’A110 des origines a bien en commun avec l’actuelle, c’est sa formidable absence d’inertie ! Elle tourne, elle vire, elle freine avec une déconcertante facilité.
Sa compacité la rend également parfaite pour les routes les plus étroites, ce qui explique que la Berlinette ait fait un malheur en rallyes, notamment au Monte-Carlo. Et malgré la météo capricieuse de ce début juin, elle n’a jamais cherché à me prendre en traître, faisant mentir les mauvaises langues (ou les mauvais conducteurs ?) qui la prétendent délicate à conduire.
Certes, je me suis bien gardé d’aller titiller les limites du châssis, par égard pour le méticuleux travail de restauration effectué par Jean-Pascal et la valeur (pécuniaire mais surtout sentimentale !) de son auto. On imagine bien que pour aller bousculer des Porsche 911 ou des Ford GT40, il faut autrement plus de doigté et de métier que je n’en ai. Les grands spécialistes de la Berlinette, les Andruet, Ragnotti et autres Vinatier, savent danser le tango avec elle et lui faire accomplir des miracles.
Mais au commun des mortels, la berlinette Alpine sait déjà procurer comme peu d’autres sportives les plaisirs simples, purs et intenses de la conduite.
Pas besoin de rouler vite pour avoir des sensations avec une Berlinette. Heureusement, car ses performances feraient sourire le propriétaire de la moindre GTI actuelle…
Cequ’endisait Sport Auto
Sport Auto n°64.ParJoséRosinski
La berlinette Alpine est une voiture pour laquelle j’éprouve une particulière afection. […] Je dois dire que plus le moteur est puissant, plus la Berlinette est agréable à conduire, ce qui peut paraître étonnant alors même que châssis, suspension et carrosserie demeurent pratiquement identiques depuis le début. Il faut donc croire que ces organes avaient été bien et largement calculés au départ ! […] Il s’agit naturellement d’une stricte deux places, les fauteuils réglables en inclinaison procurant une position confortablement allongée.
L’habitacle est assez exigu, et si le conducteur est correctement installé, le passager éprouve quelques diicultés à trouver un emplacement convenable pour ses pieds. […] En ville, la souplesse de la mécanique combinée aux dimensions réduites de la voiture procurent une maniabilité extraordinaire. Et, comme la direction est douce et les freins précis, la chasse aux Cooper peut être entreprise dans d’excellentes conditions en vérité ! Dans les virages, c’est un régal de conduire une voiture à moteur arrière bien réglée. C’est vrai avec une Porsche.
Ça l’est peut-être encore davantage avec une Alpine, plus légère et agile. Elle prend très peu de roulis, obéit instantanément aux sollicitations du volant ou de l’accélérateur, se place au millimètre, se freine aussi peu que possible, bref procure au conducteur une excellente idée des joies du pilotage en compétition. […] Le comportement routier de cette Alpine donne donc toute satisfaction, sauf sur un point : la stabilité directionnelle à grande vitesse, qui n’est pas parfaite. »
Cequ’en dit Sport Auto
L’A110 est bien plus que la somme de ses parties. Bien plus aussi que ce que les chiffres peuvent transcrire. C’est cela, l’alchimie Alpine : prendre des pièces de grande série a priori bien banales, les installer dans une coque légère, et faire des miracles ! 40 ans plus tard, la formule fonctionne toujours bien.
Ah oui, je confirme, le moteur est bien tout à l’arrière ! D’ailleurs, sur cette version, même le radiateur se trouve derrière. Sur les modèles plus récents, il avait migré à l’avant pour un meilleur refroidissement.