1967 Dino 206 GT

2019 Olgun Kordal / Drive-My FR

 Une Beauté Nommée Dino – Aujourd’hui très rare, la première 206 GT marque un véritable tournant dans l’histoire de la marque de Maranello. Texte Martin Buckley. Photos Olgun Kordal.


LA FERRARI OUBLIÉE

Et si la Dino 206GT était le modèle le plus important du Cheval Cabré ?

Il y a des Ferrari plus rares, plus rapides et même peut-être plus jolies, mais les Dino – 206 ou 246 – restent les plus plaisantes à conduire.

Une beauté nommée Dino 30 Martin Buckley est ébloui par la Ferrari Dino originale, la 206GT.


C’est juste une théorie, mais j’ai l’impression que si Enzo Ferrari a hésité à donner son nom à la première Dino de route, ce n’est pas à cause d’un nombre de cylindres insuffisant, ni de sa méfiance à l’égard du moteur central, mais parce que c’était presque une trop bonne voiture pour être une Ferrari. Il ne l’aurait pas reconnu en ces termes, mais la Dino était une vraie voiture de conducteur sportif, plus que toutes ses soeurs prestigieuses à moteur V12 avant. C’était une véritable voiture de sport, et non pas une Grand Tourisme.


1967 Dino 206 GT

1967 Dino 206 GT

Dévoilée au Salon de Turin 1967, 11 ans après le décès du jeune homme qui avait inspiré sa création, cette deux places à moteur V6 affichait une ligne à couper le souffle, une tenue de route de haut niveau et tous les ingrédients que l’on attendait d’une voiture stable et sûre, dont les utilisateurs pouvaient profiter sans arrière-pensée.

“Il faut un moment pour assimiler la façon dont la 206 se joue de la surface de la route, dont elle négocie de façon neutre et saine n’importe quel virage”

Si vous reconnaissez que la Miura était un jouet exotique insensé, la Dino offrait une combinaison encore jamais vue. Ce n’était pas une “supercar”, mais la voiture de sport la plus moderne et la plus excitante du monde, qui impressionnait tous ceux qui en prenaient le volant.

Avant la Dino, Ferrari se satisfaisait d’écouler chaque année 700 de ses très exclusives V12. En 1974, quand la Dino a disparu du catalogue, ce chiffre a été multiplié par trois. En lorgnant sur le marché de la Porsche 911, la première Ferrari à moteur central a établi la transition entre la production artisanale des années 1960 et l’ère industrielle post-Fiat des années 1970. Vue sous cet angle, la Dino 206 GT (devancière des 246 GT et GTS, plus connues et plus diffusées) est peut-être la Ferrari de route la plus importante de toutes : le premier pas en direction de la production en série, telle que Maranello la connaît aujourd’hui.

C’est une raison suffisante pour justifier cette prise en main. Une première, d’ailleurs : j’ai eu l’occasion de conduire plusieurs 246, toujours avec plaisir, mais un mystère persistant continuait à entourer cette première version à carrosserie et moteur en aluminium, avec ses superbes jantes à fixation centrale.

Pour être honnête, j’avais oublié à quel point elle était rare : jusqu’à fin 1969 ne sont sortis que 150 exemplaires de 206, sorte de version de présérie de la 246 GT, plus aboutie et plus accessible. Toutes les voitures étaient à conduite à gauche (un longeron de châssis légèrement décalé ayant semble-t-il gêné la conception d’un autre pédalier), et seulement deux exemplaires ont été vendus en Angleterre par Maranello Concessionnaires. Éric Clapton en a acheté un d’occasion, après que le premier propriétaire l’ait fait reprendre pour une 275.

Une version à conduite à droite n’est apparue qu’en 1970 avec la 246 GT, disponible en Angleterre pour 1 000 £ de moins que les 6 250 £ de la version 2 litres.

Avec tout juste 1,10 m de haut et un poids de 900 kg, la 206 GT de 1967 était une création magistrale provenant de la table à dessin d’Aldo Brovarone, styliste de 41 ans ayant à son actif quelques réalisations fantastiques chez Pininfarina, dont la Dino 206 Speciale.

La voiture bénéficiait du moteur quatre arbres tout aluminium monté transversalement et, avec 180 ch, 20 ch plus puissant que la version de la Fiat Dino. Fabriqué par Fiat à l’usine de Rivalta, le V6 était relié (via une cascade de pignons) à une boîte cinq rapports conçue à Maranello. Cette superbe pièce de fonderie abritait aussi le différentiel autobloquant, mais permettait une séparation de l’huile moteur et boîte.

Si la configuration de la 206 était révolutionnaire, les matériaux et la construction restaient traditionnels, avec des panneaux d’aluminium fixés sur un châssis constitué de tubes elliptiques. Avec une suspension classique à triangles inégaux et des pneus Michelin chaussant les jantes 14 pouces, la Dino recevait quatre disques ventilés et faisait mieux que les V12 en étant la première Ferrari dotée d’une direction à crémaillère.

Cette 206 GT de 1969, parfaite à tous points de vue, est sans doute la seule en Angleterre en état de fonctionner. Après avoir fait partie de la collection d’Albert Obrist, cette voiture initialement destinée au marché italien a été vendue il y a 10 ans par Bernie Ecclestone à son actuel propriétaire. Après un démontage complet, une restauration a été menée à bien pendant trois ans, en majeure partie par le spécialiste Barkaways.

La sellerie a été réalisée par Luppi, et la mécanique a été complètement restaurée : le V6 avait besoin d’un vilebrequin neuf et le bloc, autrefois percé par une bielle, a été réparé en utilisant une technique exotique de soudure sous l’eau. Les pare-chocs fins et plusieurs autres pièces spécifiques à la 206 (comme les quatre petites sorties d’échappement façon “sarbacane”) ont dû être refaits. Le reste a été récupéré à prix d’or : un très rare bouchon de réservoir neuf a été payé 1 700 £ aux États-Unis.

Nous faisons connaissance avec la Dino dans les quartiers climatisés où elle côtoie une vingtaine de ses soeurs, plus jeunes pour la plupart, mais moins belles. De teinte Rosso Dino (qui se rapproche d’un orange), cette Cendrillon de la famille Ferrari fait paraître ses parentes obèses et tape-à-l’oeil.

La 206 occupe la même surface qu’une Cortina Mk2, mais paraît beaucoup plus petite. Difficile de la quitter des yeux : il s’en dégage une présence tout à fait indépendante de sa taille, avec une perfection de lignes et de proportions qui, même si vous ne pensez pas qu’une voiture puisse être une oeuvre d’art, apporte une forme de poésie visuelle. Le nom Ferrari n’apparaît nulle part et les jantes affichent même la marque Fiat : elles équipaient aussi les Dino à moteur avant. Lever le capot arrière permet de comprendre le secret de la célèbre tenue de route de la Dino, le groupe très compact laissant même la place d’un petit coffre de 280 dm3. L’allumage est un Dinoplex électronique, un des premiers du genre, conçu pour éviter de noyer les bougies dans la circulation. La roue de secours et le radiateur occupent le coffre avant.

Quand enfin le ciel s’éclaircit, un vendredi après-midi de ce qui a été le mois de juin le plus humide depuis longtemps, la Dino se prépare pour une rare sortie sur route ouverte. C’est, comme le reconnaît son propriétaire, une reine assumée de concours d’élégance et elle a remporté de nombreuses récompenses dans le monde entier mais, contrairement à nombre de ses congénères, elle roule avec autant d’aisance que sa présentation est irréprochable.

Certes, le démarrage est hésitant, ce qui n’est guère surprenant car elle n’a pas tourné depuis au moins six mois. Tout en la laissant monter en température, je peux prendre place en ouvrant la porte légère, dotée d’un petit loquet extérieur et de manivelles de vitres : ces dernières étaient électriques en option.

L’ouverture est assez large et je rentre les jambes après le dos, selon ma technique favorite. Une fois les cuisses casées sous le volant Nardi à jante bois (plus grand que la version cuir des versions ultérieures), j’essaye de trouver la meilleure position dans les sièges baquet un peu rudimentaires. Ils sont en simili noir, avec des inserts orange “absorbeurs de sueur”, une particularité amusante de la 206, qui n’a jamais bénéficié de cuir.

Le repose-pied passager, la poignée de maintien sur le seuil de porte et les appuie-têtes fixés à la cloison pare-feu sont spécifiques à la 206 GT. Il en est de même pour les commandes de chauffage entre les sièges, mais le tableau de bord à huit instruments est très proche de celui de la 246. À part les pédales, légèrement décalées à cause du passage de roue, la position de conduite est excellente et la visibilité bonne sous tous les angles, même à l’arrière par la lunette incurvée.

Une fois que vous êtes bien installé, la Dino semble exactement de la bonne taille, ni trop grande, ni trop petite. Une sacoche peut trouver place derrière les sièges, dans un habitacle intime mais pas étriqué. Vous vous sentez bien avant même d’avoir enfoncé l’embrayage et trouvé le premier rapport, décalé. Comme si les créateurs avaient dès le départ réfléchi au confort des occupants, au lieu de les considérer comme un mal nécessaire.

Dans les manoeuvres à basse vitesse, vous pouvez entendre grogner les pignons du différentiel autobloquant ; le rayon de braquage est raisonnable, mais les freins semblent absents à froid et, si l’embrayage est doux, il est également ferme. Rouler doucement en première et deuxième sur de petites routes, à la demande du photographe et en évitant les flaques d’eau, ne correspond guère à la personnalité de la 206.

Essayez la troisième : le manque de couple, par rapport à la 246, ne saute pas aux yeux, mais la voiture refuse de se lancer de façon énergique au-dessous de 4 000 tr/mn, sa plage de prédilection étant 5-6 000 tr/mn. Là, elle commence vraiment à accélérer fort et à chanter clairement, sa sonorité métallique accompagnant la réactivité du moteur à course courte, tout en couvrant le chant de la pignonnerie primaire alors que vous enchaînez les rapports rapprochés. Il y a un rapport de boîte pour toutes les circonstances, y compris l’autoroute où, à 7 500 tr/mn en cinquième, vous devriez frôler 230 km/h. Nous n’atteignons même pas la moitié, mais peu importe : assis bas, la vision des deux ailes rondes et du nez voluptueux à travers le pare-brise est fascinante et, alors que le paysage se rapproche à grande vitesse, vous êtes envahi d’une sensation de contrôle absolu.

Accompagnée d’une telle musique, la 206 paraît plus rapide qu’elle ne l’est, mais avec une personnalité encore plus effervescente que les versions suivantes. Il faut un moment pour assimiler la façon dont elle se joue de la surface de la route, dont elle négocie de façon neutre et saine n’importe quel virage. C’est une voiture qui flatte et grise les sens avec sa capacité à virer bien plat et sa direction de kart, jamais nerveuse. Avec une attaque précise, elle est légère, délicate, agile et offre une réactivité immédiate à l’accélérateur, le tout combiné à une superbe commande de boîte. Il existe des Ferrari plus rares, plus rapides, et peut-être même plus jolies, mais je considère que les Dino (206 et 246) sont les voitures de l’époque classique les plus plaisantes à conduire, et qu’elles représentent sans doute le moyen le plus rapide de parcourir une route sinueuse, dans les années 1960-1970.

Vive et fascinante, mais un peu fragile, la 206 GT n’a pas vraiment inquiété Porsche mais elle a fait partie des manoeuvres de rapprochement de Fiat et de Ferrari, qui ont débouché en 1969 sur le mariage des deux marques. Elle constitue aussi le début d’une lignée de modèles compacts à moteur central, qui se poursuit encore aujourd’hui : des machines de route dont le prix “approchable” permet au magnat aisé et encore jeune d’en faire l’acquisition.

Ce n’est plus le cas de la 206. Avec quelque 80 exemplaires survivants, c’est la plus recherchée de toutes les Dino, et aussi la plus chère. Nous avons assuré cet exemplaire (en parfait état) pour 900 000 €, et je doute que le propriétaire soit prêt à la céder, même pour plus d’un million. Et je ne l’en blâme pas.


Bouchon de réservoir apparent et capot à 12 fentes (au lieu de 14) distinguent la Dino 2 litres. En haut à droite : volant Nardi en bois ; badges discrets, hommage au fils du Commendatore ; prise d’air profilée pour le V6. Sens horaire : cette première Dino est plus fine et élégante que les versions ultérieures ; moteur tout aluminium (le bloc 2,4 litres est en fonte) ; jantes 14 pouces en magnésium et fixations Rudge conservées sur la 246 jusqu’en 1970 ; sièges et poignée de maintien spécifiques à la 206.


 

1967 Dino 206 GT

Période/Production 1967-1969 / 150 ex

Construction châssis tubulaire acier, carrosserie aluminium

Moteur V6 alliage à 65°, 1 987 cm3, 2 ACT par banc, 3 carburateurs Weber 40DCN14

Puissance maxi 180 ch à 8 000 tr/mn

Couple maxi 19 mkg à 6 500 tr/mn

Transmission manuelle 5 rapports, propulsion

Suspension ind. par doubles triangles, ressorts hélicoïdaux, am. télescopiques ; barre antiroulis av/ar

Direction à crémaillère

Freins Girling double circuit, disques av 269 mm, ar 254 mm, servo

Lxlxh 4 150 x 1 700 x 1 115 mm

Empattement 2 280 mm

Poids 900 kg à sec

0-100 km/h 6,8 s

Vitesse maxi 230 km/h

Prix neuve 68 500 francs (1969. Par comparaison,

une 365 GT 2+2 valait 106 500 francs)

Cote actuelle 7-900 000 €


 

UNE STAR EST NÉE

Même si vous croyez la connaître, l’histoire de la Dino réclame un peu de débroussaillage. Elle est née dans un contexte d’opportunité commerciale, de douleur, d’honneur sportif et de dynastie familiale privée d’un héritier légitime avec le décès en 1956 d’Alfredo “Dino” Ferrari, à l’âge de 24 ans. En donnant à une série de moteurs de compétition le nom de son fils, qui avait travaillé sur un V6 avant sa disparition, Enzo a semé les graines d’une gamme de Ferrari plus petites et moins chères, même si la forme qu’elles prendraient n’était pas encore claire. Il savait sans doute qu’un tel modèle réclamerait des fonds et une coopération extérieurs, et l’ASA 1000 avait montré qu’il n’était pas hostile à l’idée d’une autre marque produisant une “Ferrarina” sous licence.

Mais l’origine de la Dino de route vient de la nécessité de produire 500 exemplaires d’un moteur de 6 cylindres maximum pour l’homologation de la Formule 2 de 1965. Enzo considérait la F2 comme un moyen important de révéler de jeunes talents italiens. Concevoir un tel moteur n’était pas un problème (il existait la version 1,5 litre), mais trouver l’espace et le personnel pour le fabriquer était impossible pour une firme concentrée sur les monoplaces de GP et les voitures d’endurance de grosse cylindrée. Ferrari a alors sollicité l’aide de Fiat, signant un accord avec Gianni Agnelli pour fabriquer à Turin une version “industrialisée” du V6 quatre arbres conçu par Franco Rocchi, pour le coupé et le spider Fiat Dino. L’angle de 65° laissait la place pour des culasses à deux ACT et des carburateurs Weber 40DCN.

La vente de ces voitures a rapidement satisfait aux exigences d’homologation, et la rumeur n’a pas tardé à circuler d’une voiture à moteur central, comme l’ont annoncé plusieurs show cars entre 1965 et 1967. D’abord la 206 Speciale (ci-dessus) basée sur une 206 S de course. Son V6 longitudinal était factice, sans équipage mobile, mais la forme posait le principe d’une biplace au dessin voluptueux, et elle annonçait un nouveau système de dénomination reprenant la cylindrée et le nombre de cylindres.

La Dino Berlinetta GT de Turin, en 1966, était plus proche de la version lancée un an plus tard. Les trois premiers exemplaires étaient des prototypes de présérie fabriqués par Pininfarina, les autres par Scaglietti. Les livraisons ont commencé au printemps 1968, avec 99 unités vendues cette année-là et 51 la suivante, avant le remplacement par la 246 GT de 195 ch. Avec son bloc en fonte et sa carrosserie acier, la 246 était plus lourde de 150 kg, mais les 15 ch de plus (et un couple plus généreux) compensaient ce handicap. Et surtout, elle était suffisamment robuste et aboutie pour s’attaquer aux Porsche 911.


 

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