1963 Alfa Romeo Giulia TI Super

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A quoi correspond la version sportive d’une berline sportive ? A une voiture de course, cela va sans dire. C’est exactement ce qu’est la Giulia Ti Super, qui reprend les qualités de la 1900 Ti Super en poussant le concept à l’extrême : carrosserie allégée, moteur vitaminé, châssis surbaissé plus rigide et 189 km/h de vitesse de pointe. Construite à seulement 501 unités sur deux années, la plus désirée – et falsifiée ! – des Giulia se fait aujourd’hui extrêmement rare. Nous avons déniché l’un des 36 exemplaires authentiques encore en circulation.


C’est sous son nom italien, Quadrifoglio, que la ti super va être universellement connue


1963 Alfa Romeo Giulia TI Super

 

En paraphrasant ce qu’Heny Ford disait à propos de la Model T : la Giulia Ti Super était livrée dans n’importe quelle couleur, pourvu que ce soit blanc. Des 501 unités produites, seules deux arboraient une autre teinte : la *595135* rouge, et la *595416* grise. Les bandes adhésives du capot de cet exemplaire, qui forment le drapeau tricolore italien, ne sont évidemment pas d’origine : c’était la signature de l’écurie milanaise Jolly Club.


Il faut se plonger dans la nomenclature des Alfa Romeo des Trente Glorieuses pour mieux comprendre la spécificité de cette auto. Si le terme “Super” désigne une version cossue et “Ti” (Turismo internazionale) une sportive, quelle est donc la signification de “Ti Super” ? Un modèle de luxe avec un moteur dopé ? Perdu ! Dans le cas présent, “Super” n’indique pas un niveau de finition, mais vient renforcer le côté sportif suggéré par le sigle Ti. Une “super sportive” en somme.

La 1900, dont la Super comptait 90 ch et les Ti 100 et Ti Super 115 ch, avait déjà été déclinée ainsi. Au lancement de la Giulia, le 27 juin 1962, Alfa Romeo comprend qu’elle dispose là d’un atout très intéressant pour souligner l’idée de “la berline familiale qui gagne les courses”, slogan qui avait accompagné, non sans succès, la sortie de la 1900.

Plus puissante que la Giulietta, largement plus agile que la 2600 à 6 cylindres ayant indirectement pris la relève de la 1900 [1], la Giulia est faite pour séduire avec sa ligne originale et aérodynamique [2] bien en avance sur une concurrence qui, au mieux, s’inspire des américaines, à l’image de Fiat et de ses 1300/1500. Le 24 avril 1963, Alfa Romeo ajoute donc du piment à sa recette en dévoilant, sur l’autodrome de Monza, la Ti Super.

Son moteur est à peu près identique à celui qui équipe la Giulia SS, la version 1,6 litre de l’ancienne Giulietta SS dessinée et produite par Bertone. Malgré une alimentation légèrement différente, il délivrera la même puissance que le coupé, à savoir 113 ch, contre les 90 de la Giulia Ti. Pensée pour une clientèle véritablement sportive qui entend l’engager en compétition plus que pour des bourgeois empressés, la nouvelle venue reprend le trèfle à quatre feuilles qui avait porté chance aux Alfa Romeo de course dans les années 20. C’est sous son nom italien, Quadrifoglio, que la Ti Super sera universellement connue [3]. Afin d’épauler une augmentation de puissance relativement importante, des modifications de détail font perdre environ 100 kg à la voiture.

Deux phares AV ont été retirés – le couple central ayant été remplacé par une grille [4] –, les déflecteurs avant et les vitres arrière sont désormais en plexiglas, les jantes en alliage Campagnolo, et les pare-chocs se 

sont débarrassés de leur banane. L’habitacle, revu par Zagato, se renouvelle : des baquets font office de sièges avant, le volant est à trois branches, le combiné arbore trois instruments ronds, la partie face au passager est plus sommaire – tout comme les contre-portes –, le levier est fixé au plancher et le frein à main, initialement sous le tableau de bord, est à présent positionné entre les sièges.

Si les premiers exemplaires accueillent des tambours avec trois mâchoires à réglage automatique à l’avant, à partir de septembre, lorsque la production débute réellement, la Ti Super passe aux quatre disques [5]. Plus puissante et allégée, la Quadrifoglio voyage à 189 km/h quand la Ti bloque l’aiguille de son tachymètre sur 169. Petit “écueil”, elle coûte un bras : 2,62 millions de lires, soit quasiment le prix d’une berline 2600 et 62 % de plus qu’une Ti !


 1963 Alfa Romeo Giulia TI Super

 

Le remplacement du couple interne de phares par des grilles permet, à gauche de refroidir le collecteur d’échappement, à droite d’augmenter le débit d’air vers les carburateurs. Autres éléments spécifiques à la Ti Super : des pare-chocs sans bananes pour limiter le poids et un monogramme identique à celui monté à l’arrière.


 Francesco et Emanuele Morteo et leur Alfa Romeo Giulia Ti Super 1964

“Notre famille aime les Alfa  et les courses”

Que la passion automobile puisse se transmettre de père en fils, c’est tout à fait normal. Mais il y a des cas où l’amour pour une marque est vraiment viscéral. La famille Morteo de Vigevano (Pavie) en est un bon exemple. Elle se compose du papa, Francesco, médecin à la retraite, et de ses fils Emanuele, 44 ans, ingénieur, et Alessandro, 41 ans, médecin à son tour (qui n’était pas présent le jour de notre essai).

Les Morteo ne jurent que par les Alfa Romeo : leur collection est à couper le souffle, même pour des gens qui, comme moi, ont vu un tas de grands garages, compte des dizaines de modèles. Parmi les Alfa, la petite tribu a une tendresse particulière pour les 1900 et les voitures de sport, qu’il s’agisse de monoplaces ou de versions dérivées de la série (comme la 75 Turbo Evoluzione ou la 155 Superturismo).

La Quadrifoglio que j’ai essayée, l’une des 36 officiellement reconnues comme étant d’origine par le Registro Alfa Romeo Giulia Ti Super, a été mise en circulation le 21 avril 1964. Ayant appartenu à la célèbre écurie Jolly Club, elle a été achetée sans papiers par Francesco en 1980. Il l’a gardée pour en faire cadeau à Alessandro lors de ses 18 ans. De nouveau immatriculée en 1997, elle a couru (aux mains du fils cadet) durant dix ans. Sa première sortie a eu lieu en 1996, à l’occasion des 300 km de Vallelunga où Alessandro l’a conduite aux côtés de Cristina, la fille de Bruno Di Bona, qui l’avait lui-même piloté dans les années 60. Sa dernière course fut le Monte-Carlo Historique de 2007.

Elle a ensuite été intégralement restaurée en respectant la conformité du modèle original, mais sans éliminer les spécificités de course de son époque telles que la lunette en plexiglas, l’arceau ou les suspensions spéciales dues à Samuele Baggioli. Elle a aujourd’hui moins de 70 000 km au compteur et les Morteo l’utilisent lors des “trackdays” pour anciennes, comme le Minardi Day organisé chaque mois de mai sur l’autodrome d’Imola. Ses admirateurs sont à chaque fois très nombreux.


 1963 Alfa Romeo Giulia TI Super interior

 

Vous n’êtes pas dans une berline, mais dans une auto de compétition : les sièges baquets possèdent un dossier fixe avec peu de rembourrage, mais leurs rebords les rendent suffisamment enveloppants.


 Si sa carrière commerciale se révèle plus que modeste puisqu’elle reste en production seulement un an et demi et s’éclipse du catalogue dès avril 1965, sa carrière sportive est en revanche brillante : déjà en 1963, dans l’attente de l’homologation dans la catégorie Tourisme (qui arrivera le 13 janvier 1964), des particuliers l’engagent dans des compétitions sur piste, en course de côte ou dans les rallyes. Les préparateurs qui s’exercent sur les Quadrifoglio sont parmi les plus réputés du milieu :

Samuele Baggioli, Almo Bosato ou Virgilio Conrero. Lors de la Coppa Intereuropa 1964 de Monza, les trois Ti Super de Ernesto Prinoth, Roberto Bussinello et Ugo Bagnasacco dominent leur classe. Des Alpes à la Sicile, ces autos réalisent de belles performances à la Trieste-Opicina, la CesanaSestrières et la Catane-Etna. Sans oublier les deux Français, Fernand Masoero et Jean Maurin, qui remportent leur catégorie et

Le registro Giulia ti super a recensé les modèles originaux : ils ne sont que 36

finissent quatrième au scratch derrière trois Ferrari 250 de 3 litres lors du 12e Tour de France Auto de septembre 1963. L’année suivante, Andrea De Adamich gagne la Coppa d’Autunno et Giancarlo Baghetti la Coppa Europa, toutes deux courues sur l’autodrome de Monza. Bien que souvent mise en difficulté par les Ford Cortina Lotus, la Quadrifoglio poursuit son existence jusqu’en 1966 en France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Etats-Unis, Brésil, Argentine et Australie.

De nos jours, on dénombre des centaines, voire des milliers de Giulia Quadrifoglio. Sachant que seules 501 unités en ont été produites, vous comprendrez aisément que la plupart sont des fausses, à l’instar des coupés Giulia GTA ou encore des Fiat 500 F, devenues comme par magie des Abarth 595 SS. Pour aider les collectionneurs à ne pas dépenser des sommes déraisonnables pour une 1300 “transformée”, le Registro Giulia Ti Super a recensé les modèles originaux : ils ne sont que 36 dans le monde entier.

Et l’un d’eux est entre mes mains. Avant de vous parler de la Quadrifoglio que j’ai testée, laissezmoi vous expliquer comment mes essais sont habituellement organisés : une fois la séance photo terminée et pendant que Marco 2, le photographe, range ses appareils et s’offre un petit café, je pars en balade avec le propriétaire à mes côtés. Cette fois, j’ai d’abord testé la voiture en tant que passager.

« Je t’emmène sur des petites routes magnifiques où tu pourras véritablement apprécier cette auto », m’avait annoncé Emanuele. Quelle bonne idée ! Je m’assieds donc à ses côtés avec la plus grande confiance. Juste le temps de sortir du parking (trois secondes, peut-être quatre) et le monde commence à tourner à l’envers. Un bruit fort et sourd (quelque chose qui ressemble, de loin, à un bi-arbre Alfa, mais en beaucoup plus bruyant) envahit l’habitacle et une force centrifuge énorme commence à me secouer, sans ceinture et sans véritable poignée de maintien à laquelle me raccrocher, à chaque virage.

Arbres, hommes, voitures défilent à la vitesse de la lumière, tandis que le visage de mon compagnon d’aventure garde une expression sereine et relaxée qui, comme vous pouvez l’imaginer, n’est pas la mienne. Quand il se rend compte de mon état, il me demande si tout va bien. En puisant dans les dernières forces qu’il me reste, j’arrive à murmurer un timide « Presque ».

En l’espace d’une paire de kilomètres parcourus à peu près à la vitesse à laquelle une F1 sort de la “parabole” de Monza (le tout accompagné de freinages que je qualifierais de “désespérés”), j’ai compris deux choses : premièrement, Emanuele est sans conteste un excellent pilote, et deuxièmement, la Quadrifoglio n’a pas peur de son pied droit (contrairement à votre serviteur…). Après avoir pris quelques profondes inspirations et essuyé mon front, je m’installe au volant, ravi de me retrouver du bon côté après avoir autant été martyrisé… Première constatation : il y a de la place dans la Quadrifoglio.


 1963 Alfa Romeo Giulia TI Super

 

La Ti Super possède des suspensions abaissées, mais Alfa Romeo n’a jamais indiqué la différence de garde au sol entre elle et la Giulia Ti. Cet exemplaire accueille des Koni et des ressorts modifiés qui réduisent encore davantage la hauteur de caisse. Le train avant est durci et l’arrière un brin plus souple afin de favoriser l’adhérence.


Comme sur n’importe quelle Giulia, la boîte est tout simplement parfaite

Les cadrans sont également bien lisibles. Je pars pour mon galop d’essai et opère tout de suite une comparaison qui va sonner comme un blasphème aux oreilles des puristes : à bas régime, cette Giulia ressemble à un turbodiesel d’aujourd’hui. A n’importe quel régime, vitesse ou rapport – cinquième comprise –, lorsque je pousse sur le champignon, elle avance rapidement, nerveusement et docilement à la fois. Mais si un diesel “s’éteint” à 3 500 tr/mn, la Giulia poursuit sa course sans obstacles jusqu’à 6 000 tr/mn grâce au parfait remplissage des
deux gros Weber double corps de 45. Et rappelons que je suis aux commandes d’un “petit” 1,6 litre…

J’avais eu la même impression en 2010, sur la piste de Balocco quand, à l’occasion du centenaire Alfa Romeo, le service de presse avait mis à disposition des journalistes un exemplaire de Quadrifoglio strictement d’origine. Cette fois, j’ai entre les mains une voiture légèrement préparée, ce qui me pousse à rechercher des différences qui ne concernent pas la boîte : comme sur n’importe quelle Giulia, elle est tout simplement parfaite.

Elle est bien étagée (les rapports sont identiques à la Ti), très bien guidée et les mouvements du levier sont courts et rapides. La direction est tellement précise qu’on la croirait à crémaillère. L’auto est également très bien freinée : ses quatre disques Dunlop associés à un servofrein (licence, justifiée, du propriétaire) sont rassurants et faciles à
mo duler. Concernant le comportement général, les soins du préparateur Baggioli se font ressentir. Si la Quadrifoglio de série a tout juste un peu de roulis et un niveau de confort moyen pour la vraie sportive qu’elle est, cette Ti Super a une âme singulière grâce au différentiel autobloquant à 25 %, à l’assiette rabaissée et aux ressorts plus rigides à l’avant qu’à l’arrière.

Elle avale les courbes avec la plus grande rapidité et sans le moindre sous-virage : lorsque l’on file à une vitesse… de Giulia, elle reste neutre. Si on lui demande d’être une Quadrifoglio, elle part fougueusement de l’arrière et il faut alors oublier les freins et piloter sur les gaz en corrigeant au volant. Je ne m’attarderai pas sur le confort qui est tout simplement inexistant. Entre le son de la mécanique, l’arrière de l’habitacle vide (entraînant une forte résonance) et les ressorts “racing”, la Quadrifoglio est dure et bruyante. 

« Et si tu veux t’approcher de ses limites, commence Emanuele, tu dois… » Je le regarde en souriant. « Je les ai déjà exploitées, ses limites. Du mauvais côté. Et j’ai compris que ce n’est pas une ancienne d’exception, ta voiture. C’est tout simplement une auto exceptionnelle. »


 1963 Alfa Romeo Giulia TI Super engine

 

Cache-culbuteurs rouge (le trait de distinction de la Quadrifoglio), filtre à air à trompette, grande espace pour bricoler : la salle des machines est un régal pour le passionné comme pour le professionnel.


Passeport technique Alfa Romeo Giulia Ti Super

MOTEUR

Type Alfa Romeo 00516. 4 cylindres en ligne disposé longitudinalement à l’AV, bloc et culasse en alliage léger, vilebrequin sur cinq paliers, deux arbres à cames en tête commandés par chaîne ■Cylindrée : 1 570 cm3 ■ Alésage x course : 78 x 82 mm ■ Taux de compression : 9,7:1 ■ Puissance maxi : 113 ch IGM (129 ch SAE) à 6 500 tr/mn ■ Couple maxi : 13,4 mkg IGM (15,5 kgm SAE) à 4 200 tr/mn ■ Alimentation : deux carburateurs double corps horizontaux Weber 45 DCO E14 ■ Allumage : par batterie 12 V 38 Ah, bobine et distributeur ■ Refroidissement : liquide par radiateur.

TRANSMISSION

Roues AR motrices ■ Embrayage : monodisque à sec ■ Boîte de vitesses : 5 rapports synchronisés + MAR, levier au plancher ■ Rapports de boîte : 1re : 3,304 – 2e 1,988 – 3e : 1,355 – 4e : 1 – 5e : 0,790 – MAR : 3,010 ■ Rapport de pont : 4,555:1 (couple conique hypoïde 9×41), en option 5,125:1 (couple conique hypoïde 8×41).

STRUCTURE

Berline 4 portes, 5 places, caisse monocoque autoportante en tôles d’acier ■ Suspensions AV : roues indépendantes avec triangles superposés, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs hydrauliques, barre antidévers ■ Suspension AR : essieu rigide à bras tirés et stabilisateur triangulaire, ressorts hélicoïdaux, amortisseurs hydrauliques ■ Freins : disques AV/AR ■ Frein à main : mécanique, agissant sur les roues AR ■ Direction : à recirculation de billes ■ Diamètre de braquage : 10,9 m entre murs ■ Jantes : en alliage léger 4,5 x 15” ■ Pneumatiques : 155-15 ■ Dimen

sions (L x l x h) : 4,115 x 1,560 x 1,430 m ■ Voies AV/AR : 1,310/1,270 m ■ Empattement : 2,510 m ■ Poids : 910 kg à vide.

PERFORMANCES

Vitesse maximale : 189 km/h ■ Consommation : 13 l/100 km. PRODUCTION Mai 1963 – décembre 1964 : 501 exemplaires (178 en 1963 et 323 en 1964).

COTATION

Il y a dix ans, une Quadrifoglio pouvait se négocier 25 000 euros. Aujourd’hui, il est presque impossible d’en acheter une à moins de 100 000 euros. Si vous en trouvez un exemplaire – d’origine, bien sûr –, profitez-en : vous vous régalerez et votre patrimoine auto ne cessera de prendre de la valeur.

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